En dépit d'un faible taux d'allaitement exclusif, un pays comme l'Australie est considéré comme un endroit où le niveau de sécurité alimentaire des jeunes enfants est élevé. Toutefois, des pays qui sont de gros exportateurs de formules lactées commerciales comme l'Australie, la Nouvelle Zélande ou l'Allemagne ont dû réduire leurs exportations en raison de ruptures de stock dans leur propre pays, suite à l'augmentation massive des importations par la Chine. Cela illustre l'impact de la globalisation du commerce des substituts du lait maternel, qui peut exposer même des enfants vivant dans les pays industrialisés à un risque alimentaire.

Par ailleurs, on constate également une demande croissante de lait humain : pour les enfants prématurés ou malades, pour les enfants des mères qui ne peuvent pas allaiter, pour les entreprises qui fabriquent divers produits à partir de lait humain (comme les produits d'enrichissement destinés aux prématurés), pour le traitement de patients gravement malades (cancéreux…). Actuellement, du lait humain transite par les lactariums, mais également via des réseaux Internet de vente ou de partage informel. Au-delà de toutes les questions que soulèvent ces pratiques concernant les contaminations potentielles du lait humain, il est devenu nécessaire de se pencher sur les implications socioéconomiques de cet état de fait. Le concept de « sécurité alimentaire » a été établi en 1999 par l'ONU ; c'est la possibilité pour toute personne d'avoir accès à des aliments de bonne qualité, répondant à leurs préférences et à leurs besoins nutritionnels, en quantité suffisante. Cet article applique ce concept à l'alimentation infantile.

Le lait humain est à la fois produit directement auprès du consommateur, en quantité suffisante, et il est parfaitement adapté aux besoins des nourrissons. La très grande majorité des mères peut allaiter, et un substitut sera réellement nécessaire uniquement dans des circonstances spécifiques. La quantité totale de lait humain fabriqué et son impact sur la sécurité alimentaire infantile à l'échelle des pays restent globalement inconnus. Des études ont été menées sur le volume moyen de lait maternel absorbé par un bébé, mais certaines femmes allaitent des jumeaux, et les lactariums ont constaté que des femmes pouvaient produire d'importantes quantités de lait (jusqu'à 3,9 à 5 litres par jour). On ignore quels sont les volumes de lait partagés via les réseaux sur Internet. Il est plus facile d'évaluer la consommation de formules lactées commerciales à partir des ventes de ces produits. Si la sécurité alimentaire du bébé allaité ne dépend que de la présence de sa mère, celle des bébés nourris avec une formule lactée commerciale dépend de la fiabilité de tout un circuit commercial.

L'accès à du lait humain est différent de l'accès à l'allaitement. Un enfant peut recevoir du lait humain tiré par sa mère, ou donné par une autre femme. Les lactariums distribuent le lait qu'ils recueillent en priorité aux enfants les plus vulnérables. Les femmes qui donnent leur lait via Internet peuvent choisir à qui elles le donnent. Ces réseaux permettent à des femmes qui ne peuvent pas allaiter pour diverses raisons d'obtenir du lait donné par des femmes qui en ont beaucoup. Dans de nombreux pays, il est nécessaire de payer pour obtenir du lait humain auprès d'un lactarium, et les mères ne sont pas payées pour le lait donné. Sur Internet, il peut être vendu ou donné. Toutefois, au Danemark par exemple, les lactariums payent les mères donneuses, et ne font pas payer ce lait aux familles qui l'utiliseront pour leur enfant. Il existe très peu de données sur la rémunération des nourrices engagées pour allaiter un enfant qui n'est pas le leur. Globalement, obtenir du lait humain est souvent coûteux. En revanche, les formules lactées commerciales sont peu coûteuses dans les pays occidentaux (elles le sont nettement plus en Chine lorsqu'elles sont importées). Le lait maternel pourra être indisponible si la mère doit reprendre une activité salariée indispensable à la survie économique de sa famille, ce qui l'empêche d'allaiter. Et même chez les mères moins défavorisées, la disponibilité du lait maternel pour leurs enfants dépendra des mesures prises sur leur lieu de travail pour faciliter la poursuite de l'allaitement. Elle pourra également être affectée en cas de divorce avec partage de la garde de l'enfant. On discute actuellement de la possibilité de payer des mères pour allaiter, ce qui pourra intéresser tout particulièrement les femmes défavorisées. La sécurité alimentaire des jeunes enfants est la plus menacée en cas de catastrophe naturelle, de guerre, ou de tout autre évènement empêchant le don d'un substitut du lait maternel dans de bonnes conditions de sécurité. Des recommandations ont été développées afin de soutenir activement l'allaitement dans ce type de situation.

La réponse traditionnelle à l'insécurité alimentaire est le commerce. L'importation peut améliorer la sécurité lorsque la production locale est insuffisante. Toutefois, on peut se poser des questions sur l'impact du commerce sur la sécurité alimentaire infantile, en particulier en raison de l'impact négatif de l'augmentation des ventes de formule lactée commerciale sur les statistiques d'allaitement. On peut s'inquiéter des négociations actuelles pour la création de grands marchés internationaux, qui auront pour conséquence de déréguler les transactions, de contourner les législations nationales, et de permettre aux multinationales d'intenter des procès aux pays qui refuseront les nouvelles règles de ces marchés, entre autres en légiférant pour encadrer l'utilisation des formules lactées commerciales.

À l'échelle mondiale, l'allaitement est la pierre angulaire de la santé et de la sécurité alimentaire des jeunes enfants. Veiller à maintenir cette sécurité alimentaire à un niveau élevé nécessite la prise en compte des conflits entre les intérêts de la population et ceux des multinationales. Si les réglementations nationales favorisent les intérêts des entreprises, cela pourra avoir un impact négatif sur la santé infantile partout dans le monde. Il est également nécessaire de se pencher sur l'utilisation de lait humain provenant d'autres femmes, et sur les moyens de la sécuriser autant que faire se peut. L'adéquation des formules lactées commerciales pour l'alimentation des jeunes enfants est également un sujet débattu, ainsi que la régulation du marketing des fabricants de ces produits. Le boycott et les campagnes d'information sur le manque d'éthique de ces fabricants sont des mesures utilisées par les consommateurs depuis des décennies.

La sécurité alimentaire des jeunes enfants n'est malheureusement pas perçue comme un sujet important dans la plupart des pays industrialisés. L'allaitement est ce qui permet le niveau le plus élevé de sécurité alimentaire chez les jeunes enfants partout dans le monde, mais pour continuer à l'assurer ce rôle, il doit être soutenu sur le plan légal, social et économique.

REF. : Food security for infants and young children : an opportunity for breastfeeding policy ? Salmon L. Int Breastfeed J 2015 ; 10 : 7. Mots-clés : sécurité alimentaire, allaitement, nutrition infantile, réglementation, économie.